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Fils de Boche
2 mars 2009

Jean-Jacques Delorme, la tête haute d'un « bâtard de boche »

Jean-Jacques Delorme, la tête haute d'un « bâtard de boche »

Les blessures de Jean-Jacques, retraité à Menton et président de l'association Coeurs Les blessures de Jean-Jacques, retraité à Menton et président de l'association Coeurs sans Frontières, sont devenues sa force. Celle d'aider les autres « enfants de la honte ».  :  Photo Alban Hillion sans Frontières, sont devenues sa force. Celle d'aider les autres « enfants de la honte ». : Photo Alban Hillion

«Je suis né le 15 octobre 1944 à Lisieux dans le Calvados. Et pendant quatre ans, élevé par mon adorable grand-mère, ma vie a été celle d'un petit garçon tout ce qu'il y a de plus normal ».

Jean-Jacques Delorme plante ses yeux mouillés dans les vôtres. Et commence son histoire. Elle est gravée dans sa chair et dans son coeur si gros. Elle lui remue encore les tripes 60 ans après. Et ce n'est pas près de s'estomper.

Son histoire, c'est celle d'un « bâtard de boche ». Celle d'un de ces enfants nés de mère française et de père soldat allemand pendant la Seconde Guerre mondiale. Un de ces enfants si encombrants, que l'on a tus longtemps, que l'on a cachés, malmenés, esquintés, humiliés, annihilés, à la Libération.

Au mieux ? De petits parasites qu'on ignorait. Au pire ? Des défouloirs de la haine du « boche ».

Jean-Jacques Delorme est l'un de ces enfants-là. Un de ces mioches abîmés, « unijambistes », comme il dit. Ils seraient entre 100 000 et 200 000 en France, selon les historiens.

Un enfant de 64 ans

« J'ai toujours crû que mon beau-père était mon père. J'avais 12 ans, lorsque l'une de mes soeurs est née. Ma mère avait accouché à la maison. Et c'est moi qui suis parti à la mairie avec le livret de famille. Je l'ai ouvert. Par hasard. Et j'y ai vu une mention marginale sous mon nom : « a été légitimé par » avec le nom de celui que je croyais être mon père. Cette mention n'existait pas pour mes autres frères et soeurs », lance cet enfant de 64 ans.

Alors, le minot aux grands yeux clairs comprend qu'il y a quelque chose qui ne colle pas. Il questionne sa mémère chérie. « Elle a botté en touche ».

Et le temps passe. « avec un père froid et distant qui tournait la tête quand je voulais l'embrasser. Avec des choses entendues dans la cour de l'école ou ailleurs, que je ne comprenais pas, comme des « fils de boche ». Je n'avais pas les clés de ma vie ».

Tout le monde savait. Sauf lui. « C'est comme le cocu. Il est toujours le dernier à le savoir », rigole aujourd'hui Jean-Jacques.

A 17 ans, il a une certitude. La seule. Presque rien. « Cet homme qu'on disait mon père n'était pas mon géniteur. Mais lorsque j'ai posé la question clairement à ma mère, elle est entrée dans une franche colère. »

Heureusement, la grand-mère est là. Toujours. « Sans elle, ma vie aurait été un calvaire », lance pudiquement Jean-Jacques.

Après le service militaire et quelques années « folles et heureuses » à Paris, où il fera des petits boulots, installé dans une chambre de bonne, il revient pour un week-end en Normandie.

« J'ai 22 ans. Nous sommes tous à table pour le repas dominical. Je prends mon courage à deux mains et je me lève ».

Et il hurle sans élever la voix tout ce qu'il le ronge depuis tant d'années : « J'ai le droit de savoir qui est mon père ».

Tout le monde met le nez dans son assiette... Sauf sa grand-mère. Cette fois, elle sait qu'elle doit parler. « J'entends encore sa chaise reculer. Puis, elle m'a emmené dans sa chambre. A plongé sa main dans l'énorme armoire normande, a extirpé du linge une enveloppe jaunie par le temps et m'a dit : ta mère m'avait demandé de la détruire, j'ai refusé. J'ai toujours considéré qu'elle devait te revenir un jour ».

Ce jour était arrivé.

Alors, Jean-Jacques a ouvert son passé et ses origines. Les doigts tremblants. Tout tenait dans cette enveloppe. Et 43 ans, après, il revit cette scène comme si c'était la première fois.

La première fois qu'il voyait ces photos : celles d'un soldat allemand qui regarde sa mère avec tant d'amour.

Sa vie en pleine figure. D'un coup. Il comprend. Tout. C'est violent. Intense. Encore aujourd'hui.

Ses yeux se voilent. Pourtant il sourit : « J'étais un sale boche, puisque le fils d'un sale boche. Mais, enfin, j'avais un père ».

Et une histoire. « Mes parents se sont connus en 41 et aimés jusqu'à 1944. Mon papa s'appelait Hans Hoffmann. Il était musicien au grand orchestre du commandant de la Place de Paris. Il a quitté la capitale en juillet 1944. Ma mère a accouché en octobre. Elle a été arrêtée aussitôt. Et croyez-moi, l'épuration n'a pas été faite par les vrais résistants... Plutôt des collabos, qui ont retourné leur veste au dernier moment. Ils se sont défoulés sur les femmes. Une honte. »,

Sa maman a été condamnée pour « collaboration horizontale » à un an de prison et à 5 ans d'indignité nationale. « Elle a effectué toute sa peine à la prison de Caen. Mais n'a jamais voulu en parler ».

Jean-Jacques sait maintenant qui il est. D'où il vient. Mais il se croit seul au monde. Et taira son histoire, même à ses meilleurs amis. « La société française a cultivé la haine du boche, et le sort des enfants comme moi était un tabou énorme ».

Jusqu'à ce jour de 2003, où il a pleuré toutes les larmes que son corps n'avait pas encore osé verser. « J'ai ouvert mon Télérama, et j'ai vu une photo. Une femme tondue en blouse, un baluchon dans une main, un mouflet dans l'autre. Alors j'ai regardé ce documentaire de Christophe Weber sur France 3. Moi qui croyais que j'étais seul ! En fait, nous nous cachions tous, c'est tout ».

Nationalité allemande ?

Alors, Jean-Jacques entreprend des recherches.

C'est long et fastidieux, et décourageant, et... « Mais vital de savoir d'où l'on vient. On ne devrait jamais mentir à un enfant sur ses origines. Jamais. Certains d'entre nous se sont suicidés, sont en grave dépression, sous camisole chimique. Certains ne vivent plus vraiment. Aussi parce qu'ils ont subi des horreurs lorsqu'ils étaient petits. Certains ont été frappés, battus, humiliés. Et ont caché leur calvaire toute leur vie, même à leur épouse, à leurs enfants. ». A force d'acharnement, de volonté et de courage, cet ancien employé de La Poste, à la retraite à Menton, a retrouvé sa famille allemande. « J'ai un frère, Dieter, plus vieux que moi ! Et oui, mon père avait une famille lorsqu'il a rencontré ma mère. Et j'ai aussi une soeur, Anegret, qui a été conçue à peu près lorsque je suis né », sourit Jean-Jacques. « La première fois que je les ai vus, nous avons passé toute la soirée ensemble chez eux. Difficile quand on ne parle pas la même langue. Et toute cette émotion. Le lendemain matin, Dieter m'a apporté deux embouts de trompette, et m'a dit : c'était à papa, il y en a un pour toi maintenant. Et puis Anegret est arrivée et elle m'a dit, on aimerait que tu portes le nom de papa ».

Jean-Jacques connaît désormais son histoire. Mais il restera un écorché vif. Aujourd'hui, il aide les autres à mener le combat que lui a gagné. Grâce à l'association qu'il a créée et qu'il préside, Coeurs sans Frontières, près de 45 personnes ont déjà retrouvé leur famille.

Ce n'est pas assez pour Jean-Jacques, « il y a encore trop de détresse. On est né comme ça, on mourra comme ça, mais il faut que l'on sache ». Alors, il continue. Pour les autres, cette fois.

Quant à l'Allemagne, elle vient juste de reconnaître « le sort difficile » de ces enfants nés sous l'Occupation, et est disposée à leur accorder sa nationalité, après plus de 60 ans passés dans l'ombre de l'Histoire.

Savoir +

coeurssansfrontieres@club-internet.fr

Contact : 06.85.39.15.45.

Stéphanie Gasiglia

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Commentaires
A
merveilleux qu'il est retrouvé ses origines et sa famille et ce qu'il fait pour les autres qui ont véçu le même rejet .... cela est dommage car ... les enfants sont des victimes innocentes dans tout cela .... Belle continuité
V
bonjour ma mere etait belge de namur je n'est jamais su qui etait mon pere mais suppose qu'il etait allemand et n'est pas honte de cette relation mais pour vivre bien et mieux un enfant comme les arbres a besoin de connaitre ses racines andre
Fils de Boche
  • enfant d'une liaison amoureuse entre une française et un soldat allemand pendant l'occupation entre 41 et 44. J'ai retrouvé la trace de mon père à 62 ans. Hélas! Il fut tué par les américains fin avril 45 à quelques jours de la fin de la guerre.
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